Les citations approximatives :

 

Photographies inspirées par celles de quelques grands maîtres.

 

Jean-Claude Liehn

 

Un exercice scolaire ?

 

Mon travail se présente avec la modestie d’un exercice scolaire. Il semble répondre à l’énoncé :

 

Dans trois séries d’environ cinq photographies chacune, vous évoquerez les œuvres des allemands Bernd et Hilla Becher, de l’américain Stephen Shore (celui d’Uncommon Places) et du français Raymond Depardon (celui de La France de Raymond Depardon)

 

Et il y a effectivement de cela dans ces exercices que l’autodidacte que je suis s’est imposés. Mais en rester là serait ignorer l’essentiel, c’est-à-dire tout ce qu’il y a de moi dans ces photographies et qui en fait autre chose qu’un exercice laborieux ou même qu’un simple hommage.

 

Tout d’abord, le choix de ces trois photographes est le mien. Ce sont des artistes que j’aime et qui n’ont pas été choisis pour la seule vertu pédagogique de leur modèle. Il ne me serait pas venu à l’idée de copier d’autres grands photographes comme Robert Frank aux USA ou Cartier-Bresson en France. Leur style est admirable, mais ce n’est pas ma voie. Les trois photographes célèbres que je me suis proposé de suivre se situent dans la lignée documentaire ouverte par Walker Evans. Avec leur style propre, ils s’inscrivent dans ce paradigme photographique né dans les années trente aux USA, qui associe précision du témoignage et sobriété de l’expression. Les Becher lui ont apporté une rigueur formelle poussée à l’obsession, Stephen Shore l’élégance de la couleur, Depardon, les charmes d’un enracinement dans un temps et une géographie qui sont les nôtres. Et je me montre fidèle à mes mentors en photographiant avec une même perfection géométrique, sous une même lumière égale, cinq silos du Nord de la France, en m’abandonnant aux charmes de la couleur devant cinq carrefours de petites villes américaines, et en faisant le portrait de quelques maisons de Céret qui n’ont pas l’honneur de se faire photographier par les touristes.

 

Infidélité

 

Et surtout, il s’agit pour moi plus de m’inspirer que d’imiter. Car, je l’annonce dans ma présentation, les écarts qui viennent s’immiscer entre mes photographies et leur modèle, sont parfois importants. Contrairement à ceux des Becher, mes silos sont colorés, même si leurs tonalités sont très adoucies par une lumière d’hiver, l’Amérique que je prétends photographier comme Stephen Shore s’est vidée de ses habitants, et je semble parfois prendre l’exact contre-pied de Raymond Depardon quant à l’usage des couleurs vives auxquelles il tient beaucoup.

 

Mais là où je me montre infidèle à l’un d’eux, je reste fidèle aux deux autres. La rigueur géométrique des Becher inonde l’ensemble des trois séries ; j’ai ramené des USA un souci d’élégance dans la composition auquel m’a rendu attentif Stephen Shore et que j’ai appliqué à de modestes villas devant lesquelles Depardon aurait pu s’arrêter. Infidèle à certains, mais fidèle à l’ensemble.

 

Pas d’humains

 

Pourquoi mes photographies ne montrent-elles pas d’humains ? C’est là une vieille histoire et tous les photographes se plaçant dans la lignée du style documentaire ont dû un jour répondre à cette remarque, en particulier en France où l’esthétisme de la photographie humaniste à la Cartier-Bresson est très prégnant. Et pourquoi faudrait-il montrer des hommes ? Doivent-ils être présents sur une image pour qu’elle parle d’eux ? Ce que je montre là, ce sont des productions humaines, parfois modestes, parfois grandioses, comme ces silos aux allures de cathédrales. Je les montre en faisant leur portrait avec la même application quel qu’en soit le statut. Tout élément pouvant perturber cet acte de mise en valeur est volontairement exclu. Même refus pour les automobiles dont l’omniprésence est devenue un agent majeur de l’enlaidissement de nos cités. Mes images sont des portraits, leur sujet se suffit à lui-même.

 

Ciels couverts

 

Les cérétans s’étonneront peut-être aussi de voir les maisons de notre région ensoleillée, sous un ciel le plus souvent couvert. J’assume cette non-représentativité météorologique. C’est que je ne fais pas là un guide touristique. Mon but est de mettre en valeur la beauté parfois modeste des maisons sur lesquelles on ne se retourne d’ordinaire pas. Et pour cela, une lumière douce me paraît plus adaptée. Question de goût. Il faut dire que je viens du Nord de la France. Les Becher aussi attendaient que le ciel se voile.

 

Pas si belles

 

Et puis aurais-je peut-être à affronter un troisième rempart de récalcitrants qui me diront « Vos maisons de Céret ne sont pas les plus belles, il y en a d’autres bien plus jolies. » ? A ceux-là, je répondrais en citant l’écrivain Michel Tournier, récemment disparu, qui s’y connaissait en photographie et qui a écrit, en parlant de lui-même : « A ses yeux tout est beau, même la laideur ; tout est sacré, même la boue ». Et surtout, je pourrais dire que comme les humains, ces maisons et maisonnettes présentent toutes un intérêt et même de la beauté, pour peu qu’on les regarde avec suffisamment d’attention. Trois grands photographes m’ont appris cela, ils méritent bien quelques citations, fussent-elles approximatives.